Dans cet article, version française adaptée d’un article publié par l’hebdomadaire allemand Die Zeit le 14 juin, Joëlle Kuntz revient sur les rapports de la Suisse avec l’Europe, ses minorités latines et l’initiative UDC demandant l’élection du Conseil fédéral par le peuple. Tout en intelligence, comme à son habitude.
Tout d’abord, concernant nos rapports avec l’Europe, pour Joëlle Kuntz
«Après le vote du 6 décembre 1992 sur l’adhésion à l’Espace économique européen (EEE) qui opposait Alémaniques et Romands, ces derniers ont renoncé à leur préférence pour l’Europe par crainte de creuser davantage le fossé culturel et politique observé sur ce thème entre les différentes parties du pays. Après ce moment fortement diviseur, les minoritaires ont fait clairement le choix de la Suisse et vingt ans plus tard, ce choix se révèle plus ferme que jamais, même si les terres romandes – et les grandes villes qui ont la même sensibilité en matière d’ouverture – n’abandonnent pas entièrement le projet européen.»
Concernant la place des minorités latines au sein du Conseil fédéral et de l’Etat fédéral né en 1848, Joëlle Kuntz relève
«Une répartition de la représentation par région culturelle complétait cette architecture gouvernementale faite pour un Etat reconnu comme pluriel. Ni la Suisse romande, ni la Suisse italienne n’étaient désignées comme «minorités» car en ces temps anciens du vingtième siècle, le nombre ne faisait pas toute la démocratie.»
Pour elle, tout a changé avec une UDC revendiquant notamment un deuxième siège au gouvernement fédéral et n’ayant pour seul argument que sa masse d’électeurs. En cela, même si l’UDC est en échec, la logique des masses électorales a affaibli la logique des équilibres fédéraux propres aux institutions suisses.
C’est toujours ce paradoxe que nous avons parfois relevé ici que le parti voulant incarné la «suissitude» jusqu’à sa caricature est en fait le fossoyeur de la Suisse moderne et de l’Etat fédéral de 1848 qui en est issu.
Concernant cette systématique du nombre en lieu est place de l’équilibre notamment confessionnel ou linguistique, l’initiative de l’UDC pour l’élection du gouvernement par le peuple ((Comme l’indique fort justement Joëlle Kuntz :
«L’initiative de l’UDC, déposée en juillet 2011, prévoit une élection majoritaire à deux tours sur l’ensemble du pays qui formerait une seule circonscription. Deux conseillers fédéraux «au moins», sur sept, devraient obligatoirement provenir de la Suisse francophone ou italophone. Au vu des masses électorales existantes, il n’y en aurait sans doute pas davantage. Plus encore qu’aujourd’hui, la lutte des «minorités» pour les deux postes laisserait les italophones sur le carreau.»)) en est le couronnement, car
«Non seulement elle prive les Chambres fédérales de leur fonction essentielle, la pesée des équilibres dans le choix des conseillers fédéraux, mais elle ouvre la porte à la démagogie électorale pour une institution qui s’en était farouchement protégée jusqu’ici, arguant de la complexité du pays.»
En mettant en relation notre situation intérieure et notre politique européenne, Joëlle Kuntz en conclut:
«Sans débouché politique institutionnel stable vers son voisinage européen immédiat, le corps suisse se ronge de l’intérieur.»
Et dans la mesure où les Européens revoient leur position relativement à la Suisse en raison de leurs propres difficultés et «des richesses réfugiées en Suisse pour échapper à leur discipline», alors
«Le rapport de forces devient critique. Il induit chez les Confédérés des réflexes de peur qui modifient subrepticement leur stabilité intérieure et les relations qu’ils ont les uns avec les autres. Ainsi, tout en affichant leur extériorité comme un tabou, ils sont trempés jusqu’au cou dans la crise européenne.»
Un article à lire en entier : La Suisse jusqu’au cou dans la crise européenne | Domaine Public.
Illustration : Document Wikipedia (licence CC)
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