Dans la dernière ligne droite de la campagne présidentielle américaine, l’heure n’est pas ici aux sondages et aux prédictions astrologiques, mais à un regard sur quelques éléments significatifs de la campagne, notamment sous l’angle de l’utilisation du net.
Quelque soit le résultat de l’élection, tant les primaires que la générale ont été entièrement placées sous l’influence du candidat Barack Obama. Si néanmoins il venait finalement à être coiffé au poteau, ce n’est pas à ses qualités que son challenger le devrait, mais au fait que les Etats-Unis ne seraient pas encore prêts à élire un afro-américain. Ni Hillary Clinton, ni John McCain, politiciens pourtant chevronés, n’ont réussi à durablement percer la cuirasse du candidat Obama.
Contrairement aux campagnes passées, les stratégies négatives ont cette fois-ci été mises en échec par le storytelling construit par l’équipe d’Obama et la formidable frappe de force financière mise à son service. Barack Obama a été modelé dès 2004 pour fournir aux électeurs l’ultime avatar possible du rêve américain. ll est à souligner que visiblement cet ultime avatar ne pouvait être une femme d’où la profonde colère d’une partie d’entre elles à la non-désignation d’Hillary Clinton. Le contexte socio-économique dépressif n’est certainement pas étranger au besoin d’une grande partie de l’électorat de se raccrocher à ce mythe. [1]
Le succès d’Obama et des démocrates doit beaucoup à Howard Dean, candidat malheureux des primaires de 2004 et président actuel du Parti démocrate. En effet, la machine électorale de Barack Obama est basée sur celle mise sur pied par H. Dean et n’a guère apporté de nouveauté formelle dans la campagne. L’équipe de campagne de Barack Obama a surtout mieux su transformer la mobilisation initiée sur internet en une mobilisation également sur le terrain. Les petits montants récoltés via internet n’ont pas seulement été mis au service de la construction du mythe, mais ils ont surtout permis trois choses:
a) trouver de nouveaux électeurs et de nouveaux militants;
b) transformer les donateurs en militant assistant aux meeting d’Obama et en quadrillant tous les Etats-Unis, y compris les fiefs républicains;
c) motiver les donateurs jusqu’au bout pour qu’ils se rendent dans les bureaux de vote:
Par ailleurs, Howard Dean, comme président des démocrates, a conceptualisé deux ans avant l’élection présidentielle la stratégie pour la campagne générale du candidat Obama. En effet, lors du renouvellement partiel des chambres, Howard Dean a investit dans la campagne, y compris dans des circonscriptions formant des bastions républicains. Il a d’ailleurs été critiqué principalement par l’équipe des Clintons parce que le gain en sièges aurait été plus important pour les Démocrates en concentrant plus les moyens financiers sur un nombre plus limités de circonscription. Or, si les gains ont peut-être été plus modestes, les Démocrates ont néanmoins obtenu la majorité du Congrès, mais surtout leur implantation a été renforcée.
En juillet, la statégie de campagne arrêtée par l’équipe de Barack Obama a été identique à celle retenue par Howard Dean. Dès le début, il ne s’agissait pas de concentrer uniquement ses forces dans les swing states, mais de porter le fer partout, y compris dans les bastions républicains réputés. Dès juin, je rapportais cette stratégie (Elle s’en va, billet du 8 juin 2008) et je soulignais à ce propos
Assisterait-on à la traduction en politique et à l’élection présidentielle américaine du concept de «guerre totale»? […] Dans tous les cas de figure, la stratégie de Barack Obama correspondrait alors à:
- changer les règles du jeux et définir ses règles du jeu;
- placer John McCain sur la défensive;
- l’étrangler financièrement;
- déplacer, voire dépasser, les frontières républicain/démocrate.
Fondamentalement, et malgré le fait que cette stratégie était connue en juin, les Républicains n’ont visiblement pas pris au sérieux cette stratégie au même titre que l’équipe de campagne d’Hillay Clinton durant les primaires. Certainement que la mauvaise situation financière du parti républicain n’aidait en rien l’élaboration d’une autre stratégie.
Dans un autre ordre d’idée, la campagne de Barack Obama a été conçue comme celle d’une rock star. Si en 2004, des artistes américains tel Bruce Springsteen organisait des concerts géants pour soutenir John Kerry, ceux-ci sont restés cette-fois en arrière-plan sur le terrain pour laisser la place à Barack Obama lui-même et ses monstres meetings attirant jusqu’à plus de 35’000 personnes. Par contre, les stars ont une présence sur internet notamment sur le principe du clip vidéo, le plus célèbre d’entre eux étant bien évidement le Yes We Can de Will.i.am:
L’ensemble médias électroniques-rencontres sur le terrain a été conçu et a fonctionné de la même manière que pour le show business. Le buzz est d’abord créé sur le net à l’instar de MySpace pour les musiciens, démultiplié via la plate-forme youtube avec les vidéos et après, seulement après, la tournée de concerts est organisée avec une vente des billets via internet. Fondamentalement la campagne de Barack Obama repose sur les mêmes principes. Tout a commencé via son discours de candidature prononcé à Springfield, ville où a grandi Abraham Lincoln, immédiatement diffusé sur le net en même temps que son site de campagne permettait aux premiers fans de s’engager dans la campagne en sa faveur.
Comme pour les artistes confirmés, il y a les versions courtes et les versions longues des albums et les collectors réservés aux fans. Par ailleurs, un certain nombre de discours fleuves sont prononcés jouant habilement avec les références historiques. De ce côté-là, Barack Obama n’est guère différent du Nicolas Sarkozy de la campagne présidentielle de 2007. S’il commence par Lincoln lors de son discours de candidature, Barack Obama construira sa campagne principalement au travers des référence à J.-F. Kennedy et Martin Luther King (voir son discours A More Perfect Union):
Avec l’accélération de la crise économique américaine [2], il « récupère » même Roosevelt et le New Deal dans sa besace.
En définitive, la campagne de 2008 a renouvelé l’approche terrain-média est l’internet supplante comme force de frappe comme dans l’inventivité tant la presse écrite que les télévisions. Internet remet même au goût du jour des formats tel le film de propagande ou les formats longs qui semblaient à jamais condamnés à l’âge du zapping télévisuel. (voir sous [1]) Et dans l’information instannée, les télescripteurs crachant les dépêches d’agence sont remplacé par twitter (USA2008 : naissance du microjournalisme et de la micropolitique, article du 22 janvier 2008). [3]
Voilà, il me reste plus qu’à vous retrouver ce soir, via ce site, mais plus largement via mon twitter (à partir de 23h00-23h30): http://twitter.com/lyonelkaufmann.
[1] Les articles suivants de ces derniers jours éclairent les propos de ce billet:
- L’Amérique veut retrouver son rêve par Yann Mens – issu de L’Amérique veut retrouver son rêve n°040 Septembre 2008
- Obama et ses hommes d’influence
- Pour Obama, la classe moyenne a le visage de la famille
[2] Cette vidéo de mars 2008 est non seulement prémonitoire, mais on y trouve déjà la fameuse photo représentant John McCain embrassant G. W. Bush et qui est régulièrement reprise dans les spots publicitaires de Barack Obama reprochant à John McCain d’avoir voté à 90% pour G. W. Bush:
[3] Si vous consultez le compte twitter consacré à l’élection ’08 (http://election.twitter.com/), vous aurez l’exact reflet du fonctionnement des télescripteurs de l’époque crachant et imprimant des nouvelles en continu. Seul le bruit des aiguilles du télescripteur a disparu.
politisch dit
Nouveau billet: USA2008: une campagne sous le signe d’Obama http://tinyurl.com/5a2ous
Lyonel Kaufmann dit
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